Une bouche pleine… Pleine de terre ? Non, une bouche pleine de foin, de linéaments, de matière vivante et végétale, une bouche pleine de parole, de parole rentrée, et qui ne demande qu’à sortir, qui commence à le faire, voyez ces fils qui se tortillent, s’échappent, pour dire l’expression, enfin. On évoquera, à propos du travail de Pierrette Gonseth-Favre, une œuvre habitée. Habitée de parole, de souvenirs, d’humanité. Une œuvre – toute œuvre digne de ce nom – tient par elle-même, vaut pour elle-même; elle répugne à livrer les secrets de sa fabrication, de sa beauté, quelque âpre et tourmentée qu’apparaisse celle-ci. Toutefois il est possible, probable, que la connaissance de quelques-uns de ces «secrets», et de l’historique de l’œuvre, ajoute, pour le spectateur, à son épaisseur, sa profondeur. Les totems créés par l’artiste se dressent à la façon des arbres : normal, puisqu’une planche en constitue l’armature. Normal, puisque ces figures, comme les arbres, résistent – on a même l’impression qu’elles sont là pour ça, résister. Rester debout face aux vicissitudes qui vous couchent votre homme, conduisent au découragement, à la mort. L’arbre vit, il s’accroche au sol, de toutes ses racines, mieux, il se développe, allonge ses branches, atteint le ciel. Les totems se parent d’une «peau» aussi vivante, rugueuse et sillonnée de rides que l’écorce: il s’agit de toile de jute. Oh pas n’importe quelle toile de jute. Une toile qui, elle aussi, a vécu. Une toile vieille de cinquante, soixante, cent ans. Une toile qui, cousue en forme de sacs, a enserré le grain. Une toile qui a contenu des récoltes entières, synonyme d’espoir. Lorsqu’elle est tombée sur un stock important (qui lui dure aujourd’hui encore) de sacs de jute, dans la ferme familiale acquise en 1918 par ses grands-parents et qui dut être vendue un demi-siècle plus tard, la jeune artiste, formée à la tapisserie de haute lice et au dessin auprès de Claire et d’Arthur Jobin, a découvert le matériau de son œuvre à venir. Le matériau qui la représente, elle. Un textile qui échappe aux métiers à tisser dont le cadre évoque une prison. Usée, raccommodée, lavée à grande eau, salie, relavée, cette toile est, dit l’artiste, une métaphore de la vie. Choisie pour son ancienneté, son appartenance à l’histoire familiale, l’histoire d’une enfance passée dans une grande ferme, à l’écoute des travailleurs saisonniers dont les traits, et l’expression, refont surface dans l’œuvre, silhouettes dégingandées, masques «anonymes», visages escamotés et pourtant doués d’une présence singulière, la toile de jute est d’abord retournée, elle épouse les creux et les bosses, les heurts et les accidents à travers lesquels Pierrette Gonseth-Favre entend évoquer ces trajectoires laborieuses, difficiles. Comme les travailleurs empoignent leurs outils, et se collètent avec la matière, elle-même entame un corps-à-corps avec le matériau, expérimente et met au point des techniques adaptées à son projet. A la teinte du jute, d’un ocre bruni, assombri, vieilli, s’ajoutent des tracés à la peinture acrylique, à l’huile. Aux inscriptions originales sur les sacs, la croix fédérale et la date, le plus souvent entre 1935 et 1945, période d’inquiétude et de disette qui «la touche le plus», se superpose le discours de ces femmes, ces hommes, qui contaient, chantaient, ce qu’ils pouvaient et voulaient dire, leurs joies, leurs efforts, tout en taisant leurs blessures. C’est donc un hommage que tisse, bon an mal an, ce peuple de figures hautes, plates, voilées et enturbannées, revêtues d’une étoffe grossière, peu flatteuse, peu engageante, mais combien expressive.
Laurence Chauvy - Octobre 2022
Emission RTN du 01.05.2023
https://www.youtube.com/watch?v=g2EUYVS8gzQ
La Côte - 11.05.23
Le Temps - 13.05.23
Le Courrier - 18.05.23
24 heures - 15.06.23
Deux livres d'or, respectivement celui de l'Abbaye de Bonmont et celui dédié à l'exposition, étaient à disposition des visiteurs. Plus de 200 témoignages ont été rédigés Vous pouvez les consulter en cliquant sur les liens ci-dessous.
Allocution de Pierrette Gonseth-Favre
Tout d’abord, je tiens à remercier la Fondation de l’Abbaye de Bonmont, son président M. Olivier Fargeon, Préfet du District de Nyon, sa vice-présidente, Mme Monique Locatelli, syndique de la commune de Chéserex et M. Laurent Bachelard directeur du Château de Bonmont et tous ses membres. Ils m’ont fait confiance me permettant d’exposer mes œuvres en toute liberté.
M. Claude Gaignard, son secrétaire général, fut un soutien précieux par sa présence active accompagnant volontiers les visiteurs. Je remercie également M. Charles Ansermet qui m’a beaucoup appris su la longue histoire de l’abbaye. Je n’oublie pas Maryline, Jessie et Tiffany, les gardiennes du lieu.
Mes plus vifs remerciements vont aux donateurs institutionnels, l'Etat de Vaud, la Commune de Chéserex, la Loterie Romande et la Fondation Goblet, et aux donateurs privés qui ont permis la mise sur pied de l'exposition.
Toute ma gratitude va au Président de l’association qui soutient mon travail, M. Dominique Blanchard. Sa disponibilité, sa générosité ont été déterminants pour la réalisation du projet. Mme Myriam Glasson a créé le lien entre l’abbaye et le château et nous avons bénéficié du savoir- faire de Mme Micheline Altwegg. C’est elle qui nous a recommandé les deux excellents graphistes, Mélanie et Nicolas Zentner. S’est joint à nous M. Thomas Gerber, le photographe. J’ai encore en mémoire, le soir du vernissage, les mots pénétrants de M. Jacques Dominique Rouiller qui ont donné d’emblée, une ampleur au travail.
Quant à l’éclairage réalisé par M. Michele Dalla Favera, il a révélé l’inépuisable richesse de ces sacs de blé.
J’exprime ma reconnaissance à mon mari qui a assuré la logistique administrative de l’association, ainsi que celle de l’exposition. C’est aussi à lui que revient la création du site Internet et ses mises à jour.
Pendant 6 mois, j’ai fait de belles rencontres, vécues chacune dans sa singularité. J’ai côtoyé tous les milieux sociaux, une richesse qui nourrit et renouvelle l’expérience humaine, celle qui pousse au dépassement de soi. Il m’est arrivé, face à mes pèlerins ou totems, qu’un visiteur laisse affleurer des impressions dévoilant des fragments de vie. Dans cette abbaye, si paisible, certains mots ont une résonance particulière. Je pense aux vers de René Char :
Plus il comprend, plus il souffre,
Plus il sait, plus il est déchiré
Mais la lucidité
Est à la mesure de son chagrin
Et sa ténacité
A celle de son désespoir.
J’ai une pensée emplie d’affection pour 3 personnes qui ont beaucoup compté dans le cadre de mon travail : M. Marcello Lévi, M. Alberto Sartoris et M. Jacques Treyvaud.
M Ilg, par votre chant, vous avez donné une voix à l’indicible.
Merci
Pierrette Gonseth-Favre
Remerciements :
- Canton de Vaud
- Fondation de l'Abbaye de Bonmont
- Commune de Chéserex
- Loterie Romande
- Vector Gestion - Nyon
- Fondation Goblet - Nyon
- Art Education Trust SA, Carouge (Ge)
- Tous les donateurs privés
Organisation :
- Association "Amis de Pierrette Gonseth-Favre"
Crédits :
Photographies : Thomas Gerber, Burgdorf
Jacques-Dominique Rouiller
Graphisme : Enzed - Lausanne
Eclairage : mdf-design - Nyon
Contact :
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